Die Linke : le phénix du communisme allemand

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vendredi 13 mars 2009 / "le Patriote"

La crise qui percute de plein fouet l’Europe met en péril des systèmes sociaux plus ou moins performants. Mais cela fait un certain temps déjà que l’Allemagne connaît une crise avant la crise : depuis 2000 un modèle social, qui a fait ces preuves, est démantelé. L’instigateur ? Gerhard Schröder, un social-démocrate, disait-on. Devant ce désastre social à l’anglo-saxonne, la renaissance d’un courant politique longtemps laissé pour mort : Die Linke, ou le réveil d’une véritable opposition.

« L’année 2008 a incontestablement marqué un tournant dans l’histoire politique et électorale allemande », certifie Jean-Pierre Gougeon, professeur de civilisation allemande à l’Université de Paris VIII. Et pour cause : pour la première fois depuis la chute du troisième Reich, un parti à gauche des sociaux-démocrates allemands a franchi le seuil des 5% pour siéger dans certains parlements régionaux ouest-allemands. Die Linke semble dès lors un concept gagnant à la grande surprise générale. Pourtant l’histoire contemporaine du parti communiste allemand ne présageait pas un tel retour en force. Bien avant d’être interdit par la Cour constitutionnelle de RFA en 1956 pour programme électoral anti constitutionnel, le KPD avait déjà sombré en-dessous de la barre des 5% dans toutes les élections qu’elles soient fédérales ou bien régionales. Même la création d’un nouveau parti communiste DKP en 1969 ne change guère la donne. Car le terme communiste est désormais lié dans l’imaginaire populaire ouest-allemand au système totalitaire en place de l’autre côté du mur et aux actes terroristes perpétrés par la RAF. Les choses se corsent davantage lorsqu’en 1972 le Bundestag vote le « Radikalenerlass » (décret excluant de la fonction publique tous les militants considérés comme extrémistes et anti constitutionnalistes), premiers visés, les communistes ouest-allemands soupçonnés d’activité d’espionnage pour le compte de la RDA. Avec la « détente » et la « politique des petits pas » initié par le chancelier Willy Brandt (1969-1974), le débat sur la gauche radicale disparaît du paysage politique ouest-allemand. Il ne resurgit que peu de temps après l’unification. Le PDS (parti du socialisme démocratique), transfuge de l’ancien parti communiste de RDA, le SED (parti socialiste unifié d’Allemagne), garde une base électorale importante parmi les déçus de la réunification dans les nouveaux Länder. Un phénomène jugé temporaire par la plupart des politologues, convaincus que les bienfaits du capitalisme toucheront ces derniers « mohicans ». Pourtant la reconstruction de l’Allemagne de l’Est tarde pour ne pas dire échoue et le rang des « perdants » ne cessent de gonfler.

Les laissés pour compte du SPD

La politique de privatisation de l’industrie d’Etat est-allemande laisse sur le carreau près de 2,6 millions de chômeurs. Quelques années après la réunification, les partis traditionnels ouest-allemands et surtout les sociaux démocrates sont délaissés par l’électorat est-allemand qui se tourne vers le PDS, mais aussi vers l’extrême-droite. Car comme l’exprime très justement Gregor Gysi, président du PDS avant de devenir le co-fondateur de Die Linke, dans son livre Un regard en arrière, un pas en avant le problème économique se greffe sur un dénie de différence de mentalité : « Les habitants des nouveaux Länder ont eu, après le 3 octobre 1990, de plus en plus l’impression qu’ils étaient davantage tolérés que désirés ». L’Ouest restant une terre à conquérir pour le PDS, l’événement qui fait tout basculer en faveur de ce parti est l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder (chancelier de 1998 à 2005). Un ensemble de réformes visant à libéraliser nombre de secteurs : fiscalité, marché du travail, licenciement, système de santé, retraites, recherche et éducation. Dominique Bosselle, professeur de civilisation allemand à l’Université de Nice déplore cette politique : « L’accession de Gerhard Schröder aux affaires est le début de l’avènement d’un modèle néolibéral à l’anglo-saxonne. C’est la casse d’un système social allemand de haut niveau. Les filets sociaux qui avant étaient tendus très haut sont réduits. Dès 1998 il instaure la fonte de toutes les aides sociales ». L’aide forfaitaire du chômage ne s’élève désormais plus à 345 euros par mois avec prise en charge du loyer. Des situations dramatiques sont relatées dans la presse, qui parle de l’émergence d’une « Unterschicht » (sous classe). Le système de santé fait davantage appel à l’individu par l’augmentation des frais à la charge du patient et la réduction des prestations remboursées. Un « espace politique libéré par les sociaux-démocrates, qui va de la gauche de l’échiquier politique aux couches moyennes fragilisées en passant par les milieux populaires » : Jacques-Pierre Gougeon y voit l’opportunité pour l’émergence d’un nouveau parti de gauche. Et c’est un des ténors de la SPD, Oscar Lafontaine, qui va s’engouffrer dans cette brèche.

Des syndicats humiliés par Hartz IV

C’est sous l’impulsion des syndicats IG Metall et Verdi qu’est rédigé début 2004 un texte intitulé « Pour une alternative électoral ». Une initiative qui va déboucher sur le parti « Alternative électorale pour le travail et la justice sociale » (WASG : Wahlalternative Arbeit und Soziale Gerechtigkeit). Un parti qui prend toute sa légitimité sous l’égide d’Oscar Lafontaine selon Dominique Bosquelle : « C’est un politique avec une notoriété incontestable. C’est le ministre-président mythique de la Sahr, sans oublier qu’il a été candidat du SPD à la chancelerie ». En 2007 le PDS de Georg Gysi et le WASG d’Oscar Lafontaine fusionne en Die Linke : une réussite politique indéniable renforcée par les échecs successifs du SPD enlisé depuis 2005 dans la grande coalition avec les conservateurs (CDU) d’Angela Merkel. Christine Mendelsohn responsable du PCF et PGE explique le succès de ce nouveau parti à l’Ouest par l’adhésion en masse de syndicalistes : « Les syndicats allemands sont riches mais pas forts. Le droit de grève en Allemagne est très restreint. Les syndicats sont beaucoup dans le consensuel et ça été le cas avec Hartz IV. Surtout Verdi y a beaucoup perdu sa face. C’est la raison qui les a poussé à rejoindre ce parti d’opposition et de résistance ». Mais ce sont surtout les milieux populaires et défavorisés qui représentent désormais la base de l’électorat du parti de gauche dans les Länder à l’Est mais aussi à l’Ouest. Alors que dans les nouveaux Länder les coalitions SPD/PDS existaient déjà depuis une dizaine d’années, la percée de Die Linke à l’Ouest est un phénomène nouveau mais, par là même, mal assimilé, à l’image de ce qui s’est produit en Hesse début 2008. La tête de liste du SPD en Hesse, Andrea Ypsilanti, a été empêchée dans ses propres rangs de former une coalition avec Die Linke, qui lui aurait permis de prendre la présidence du Land. Le mur continu à hanter les allemands de l’Ouest de sa colistière Dagmar Metzger affirmant que sa conscience lui interdisait « de soutenir toute formation d’un gouvernement avec l’aide d’un parti co-responsable de la construction du mur ». Une peur qui prend souvent des proportions grotesques comme témoigne Dominique Bosquelle : « La ministre fédérale de la Famille pour rattraper le retard en matière de crèche mène depuis 2007 une politique courageuse. L’évêque d’Augsburg, Mixa, s’en est insurgé enagitantt l’exemple des crèches de l’ex-RDA. Un argument qui a fait mouche tellement le mur reste présent dans la tête des gens », et d’ajouter « Connaissant cette peur certains politiques de Die Linke n’hésitent pourtant pas à continuer à faire référence à la RDA ».

Die Linke joue avec le feu

Dernier exemple en date le candidat du parti de gauche à la présidence en Thuringe, qui a de sérieuses chances de remporter les élections. Bodo Ramelov a dernièrement affirmé dans les médias que « l’ordre de tirer » le long du mur n’avait jamais existé. « Un négationnisme de la réalité de la dictature en RDA qui enlève toute crédibilité à Die Linke », constate Dominique Bosquelle. Die Linke dépassé par son succès électoral que peu de politiciens formés à la tâche, les figures emblématiques Gysi Biski et Lafontaine devant faire face à des problèmes de santé et la relève ne semblant à la hauteur de ses politiciens de premier plan. Pourtant Die Linke porte un renouveau social dans son sillage, indispensable à l’évolution de la population allemande vieillissante. Car le plus grand laissé pour compte de la société et de la politique allemande demeure l’enfant. La maternité est souvent ressentit comme un fardeau, le réseau de garde d’enfant étant des plus vétuste en Allemagne. Mais une autre réalité plus désastreuse est celle de la pauvreté des enfants. Des parents chômeurs n’ayant pas les moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants se sentent abandonnés par les pouvoirs publics. Le PDS et maintenant Die Linke ont toujours mis l’enfant en avant dans leur discours ou sur leurs pancartes électorales. Plus que jamais c’est ce discours tourné vers l’avenir et de la place de l’enfant qui en dernier lieu touche ces chômeurs de longue durée désillusionnés. Die Linke plus qu’un parti d’opposition semble être un parti qui rappelle certains fondamentaux que la prospérité passée à laisser au bord de la route : solidarité, partage et protection de l’enfance.

Publié dans Union Européenne

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